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Toucan Bateau dans les nuages.png

Pour les plus grands, une roman-feuilleton à découvrir tous les vendredis sur le site. En ce moment, l'île aux chats, un récit sur fond d'Égypte ancienne mettant en scène la déesse Bastet, le pharaon Khéops et un mystère dissimulé au coeur de la grande pyramide.

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Elle s’éloigna vivement de l’entrée de la tombe et but avidement. Arnaud consulta sa montre et grimaça. Combien de temps cette fois ? lui demanda Olivia après avoir étanché sa soif. Trois jours. Cela faisait trois jours qu’ils n’étaient pas sortis de la chambre secrète. Ils réprimèrent un frisson. Arnaud récupéra la gourde mécaniquement, la rangea dans leur sac à dos et tendit à sa femme une galette de riz et un bâton de bœuf séché ; je sais à quoi tu penses et il n’en est pas question, lui dit Olivia en mordant dans la viande délicieuse. Pourtant, ça ne peut pas continuer comme ça. Nous sommes affamés, déshydratés, nous n’avons pas fermé l’œil depuis trois nuits. Tu as l’air d’un fantôme... Il suffit qu’on fasse plus attention la prochaine fois, s’entêta Olivia, les yeux écarquillés. Tu as déjà dit ça la dernière fois. Qu’est-ce qui se serait passé si je n’avais pas proposé de sortir ? Olivia se mordit les lèvres. Mais c’est là ! Ce que nous avons cherché toute notre vie ! Justement c’est notre vie, répondit doucement Arnaud, et j’aimerais continuer à la vivre encore un peu. Olivia prit un air buté. Elle semblait prête à se mettre à courir. De toute façon, nous n’allons pas y retourner maintenant si ? Nous avons besoin de reprendre des forces et d’une bonne douche. Viens, maintenant. L’archéologue prit tendrement le bras de sa femme et l’éloigna de la tombe géante. Tu es vraiment une enfant, c’est pas possible.


Le couple avait loué un petit appartement dans la vieille ville du Caire. La chambre était minuscule et l’atmosphère y était étouffante, mais ils disposaient d’un toit avec une vue imprenable sur la pyramide de Khéops. Surtout, leur logeuse était une femme sans âge qui vivait entourée de chats et ne posait pas de questions sur les fréquentes disparitions des deux archéologues. Fait étrange, elle semblait toujours savoir quand le couple allait réapparaître. Ils trouvaient à chaque fois des serviettes chaudes dans la salle d’eau, des draps lavés de frais dans leur chambre, un plat de brochettes et de légumes grillés dans le four et des litres de thé à leur disposition sur la terrasse. Trois jours après leur retour, alors qu’ils terminaient un somptueux dîner préparé par leur hôte, l’un de ses félins vint se poser sur les genoux d’Arnaud. C’était un chat angora magnifique avec des yeux verts et une fourrure aussi souple que de la soie. Arnaud le caressa distraitement, tout en réfléchissant. À quoi penses-tu ? lui demanda Olivia, dont le visage avait repris des couleurs. À ces trois jours ; au fait que nous n’avons pas vu le temps passer ; au fait que j’avais programmé ma montre pour éviter que ça se reproduise encore une fois. Tu connais ma théorie, plaisanta Olivia. Arnaud ne répondit pas. Sa main passait lentement sur le dos du chat. Attends, tu y crois ? Arnaud soupira et sortit un livre de la poche de sa veste. C’était un petit livre de cuir vert avec une reliure toute abimée. Olivia, j’ai autant envie que toi de croire que nous avons trouvé la voie qui mène à la vie éternelle... dit-il en ouvrant l’ouvrage. Olivia remarqua qu’il s’agissait d’une écriture manuscrite. Un journal. Arnaud le feuilleta un moment, s’arrêta sur une page et commença à lire. « La légende dit : et ceux qui en sont dignes trouveront la chambre sacrée et la déesse leur montrera le chemin vers le royaume sans fin. Et le temps n’aura pas de prise sur eux, car ils auront quitté le monde des hommes pour entrer dans celui des rêves. » Olivia écarquilla les yeux. Qu’est-ce que c’est que ce livre ? Arnaud lui tendit l’ouvrage. Le journal du professeur Daressy. Daressy... Daressy... Georges Daressy, l’égyptologue ? Celui qui disparut sans laisser de trace en 1938 ? Arnaud hocha la tête. Où l’as-tu trouvé ? L’archéologue désigna le chat angora, qui ronronnait doucement sous ses caresses. C’est Bas qui me l’a apporté. C’est une blague ? Arnaud la considéra très sérieusement et Olivia se troubla. Tu crois que Daressy parle de la chambre dissimulée dans la pyramide de Khéops ? Son mari ne répondit pas, mais son expression parlait pour lui. J’avais raison alors ! Nous l’avons trouvé ! Tourne la page, commanda Arnaud. Olivia lut. « Mais prenez garde, vous qui cherchez le secret de la vie éternelle, car hors du rêve, jamais le temps ne s’arrête ». Eh bien quoi ? Arnaud soupira. Cela signifie que j’avais raison d’être prudent. Rappelle-toi de Philipps, Carnavon, Reed, Breasted : tous morts d’épuisement, de faim ou de soif… Carnavon, c’est la malédiction de Toutankhamon qui l’a frappé, plaisanta Olivia. Arrête Olivia, je suis sérieux. Que fais-tu de ceux qui ont disparu sans laisser de traces? Relis la phrase : « prenez-garde, vous qui cherchez le secret de la vie éternelle, car hors du rêve, jamais le temps ne s’arrête ». Une fois que l’on sort de la pièce, la vie reprend ses droits. Trois jours, Olivia. Nous sommes restés trois jours. Bas quitta soudain les genoux d’Arnaud pour venir se poser à côté de la jeune femme. Ses beaux yeux verts la regardaient avec attention. Je sais que tout cela te fait penser à ton arrière-grand-père mais c’est un risque à prendre. Pas question de ne pas y retourner, décida-t-elle en regardant Bas. Il semblait sourire. Comme c’était étrange. Je savais que tu dirais ça, dit Arnaud en soupirant à nouveau, alors j’ai réfléchi à une solution. Je t’écoute, répondit la jeune femme. On y va chacun à notre tour. Une journée maximum par personne. Et puisqu'on ne peut pas prendre de photos, on dessine. Olivia réfléchit. Ils avaient essayé de photographier les murs, mais les clichés n’avaient jamais rien montré d’autre que des murs gris et ensablés. Cela aussi était étrange. Arnaud reprit. Tu dois me promettre de ne jamais entrer quand je suis à l’intérieur. Olivia, tu es avec moi ? C’est important. Si tu entrais, il n’y aurait plus personne pour nous aider à garder la notion du temps. D’accord. Mais je commence. Le lendemain, Arnaud accompagna Olivia jusqu’à l’entrée de la pyramide et la regarda disparaître à l’intérieur. Il était en train de sortir de quoi installer un petit campement de fortune quand il la vit réapparaître quelques minutes après, catastrophée. Ça ne marche pas ! Je ne peux pas ouvrir la porte ! s’exclama-t-elle. Viens ! Viens vite !


A suivre...


Et Bastet, fille du dieu soleil, emportât les femmes et les hommes dans une cité inconnue ; et les femmes étaient parées de bijoux étincelants qui aveuglaient ceux qui observaient les embarcations depuis les rives du fleuve sacré ; et les hommes jouaient une musique que seuls ceux qui se trouvaient sur les barques divines pouvaient entendre. Car ceux-là avaient découvert le secret de la vie éternelle et déjà ils avaient quitté le monde des hommes. Arnaud arrêta Olivia dans sa lecture et posa un doigt ganté sur la clé de vie gravée dans le mur. Comment tu sais qu’il s’agit de la vie éternelle ? Olivia soupira. Parce que ce n’est pas la première fois que nous trouvons cette référence associée à Bastet. Tu préfères que je le traduise par : et ceux-là avaient découvert le secret de la vie et déjà ils avaient quitté le monde des hommes ? Arnaud lui lança un regard entendu. Mais enfin, c’est pareil, s’agaça Olivia. Pas du tout, les mots ont un sens. Le secret de la vie et le secret de la vie éternelle, ça ne veut pas dire la même chose. Comme d’habitude, tu lis ce que tu as envie de lire. Les deux archéologues s’affrontèrent un moment du regard. On a besoin d’une petite pause je crois, dit Arnaud, allez viens, on sort prendre l’air. Olivia regarda le mur à regret, puis emboîta le pas de son mari. Ils avaient découvert cette pièce secrète lors de fouilles organisées dans la pyramide de Khéops. Elle avait été dissimulée dans une fausse chambre, c’est-à-dire créée par les maîtres artisans de la vallée des rois pour abuser les pilleurs de tombe. La fausse chambre ne contenait qu’un sarcophage vide, une urne funéraire brisée et des centaines de hiéroglyphes de toutes les formes et de toutes les couleurs. Cependant, l’équipe en charge des fouilles avait déterminé qu’il ne s’agissait en fait que d’un gigantesque charabia, comme si les peintres royaux étaient venus s’entraîner à tracer des symboles dans cette pièce avant d’aller peindre des histoires éternelles sur les murs du tombeau du grand pharaon. C’est l’urne qui avait attiré l’attention d’un couple d’archéologues français, spécialiste d’Égypte ancienne et d’écriture hiéroglyphique. À la base de l’urne avait été gravée un ânkh, symbole de la vie éternelle chez les égyptiens. L’ânkh était associé à la déesse Bastet. Or, l’artiste n’avait pas choisi de représenter la déesse à tête de chat sur le couvercle. Il avait représenté Thot, le dieu de l’écriture. Faute malheureuse ou bien 2 geste délibéré de la part de l’artiste ? La mythologie égyptienne regorgeait d’exemples montrant que les architectes royaux avaient rivalisé d’ingéniosité pour protéger leurs plus grands trésors du commun des mortels. Le couple avait demandé au gouvernement égyptien une autorisation d’aller examiner la fausse chambre et avait procédé à une analyse minutieuse de chaque symbole présent sur les murs. Cela leur avait permis de se rendre compte qu’à un endroit précis de la chambre, trop bas pour que l’œil humain s’y arrête, on trouvait exactement les mêmes symboles. Le couple avait alors eu l’idée d’appuyer simultanément sur la clé de vie et sur l’œil à moitié ouvert et une porte tout juste assez grande pour laisser le passage à un homme s’était ouverte dans le mur. C’était sans aucun doute la plus grande découverte archéologique depuis qu’Howard Carter avait découvert le tombeau de Toutankhamon dans la vallée des rois. La chambre secrète ne contenait pourtant ni cercueil d’or et lapis-lazuli ni fauteuil d’ébène et d’ivoire ornementé de feuilles d’or. Il n’y avait ni masque d’obsidienne ni scarabée d’émeraude. Il n’y avait aucune statuette d’albâtre, ni coffre décoré de pierreries, ni trompettes d’argent. En fait, il n’y avait rien du tout, sauf des dessins et des hiéroglyphes mais d’une précision et d’une beauté sans pareille, si extraordinaires qu’ils donnaient à ceux qui les contemplaient l’impression d’avoir pénétré dans un rêve ; en sortant de la pyramide, les deux archéologues restèrent un moment décontenancés. L’aube était en train de colorer le ciel d’Égypte d’un joli rose pastel. Sans un mot, ils regardèrent le soleil se lever. Puis, Olivia se sentit soudain très lasse, sa tête lui tournait et sa gorge lui paraissait aussi sèche qu’un papyrus vieux de trois mille ans. Tu peux me passer la gourde ? réussit-elle à articuler en tendant la main. Viens la chercher, lui répondit son mari. Olivia fronça les sourcils, se retourna puis remarqua l’air inquiet d’Arnaud ; alors elle se rendit compte que son corps l’avait déjà ramenée à la porte. Un pas de plus et la pyramide l’avalait à nouveau.


A suivre...

L'île aux chats

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